VÉDUTISTES

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Dans une lettre que le marquis Vincenzo Giustiniani écrivait à Teodor Ameyden, entre 1620 et 1630, il plaça la vue architectonique ou perspective architectonique au sixième rang des différentes manières de peindre: «Sixièmement, savoir bien peindre les perspectives et les architectures, ce qui implique la connaissance de l’architecture et la lecture des ouvrages relatifs à ce sujet ainsi qu’à la perspective, pour avoir des notions sur les angles réguliers et visuels, de façon que tout soit en harmonie et peint sans erreur.» En insistant sur la nécessité de posséder des notions de perspective, le marquis, en véritable connaisseur, se montre bien informé de ce qui se passait dans les ateliers de peinture. Il pensait sans doute aux vedute architectoniques que leur perspective rigoureuse distinguait si nettement des visions panoramiques et fantaisistes des maniéristes venant du nord, de leur optique irréelle, à vol d’oiseau, que Giulio Mancini évoque si bien, à peu près à la même période, dans la vie de Paul Bril: «... ni en faisant l’horizon aussi haut que les Flamands, qui font de leurs paysages des scènes majestueuses plutôt qu’une perspective de pays».

C’était la voie empruntée par les artistes que Lanzi appelait au XVIIIe siècle les «perspectifs», qui se fondaient sur des notions de perspective pratique, c’est-à-dire géométrique, ou grammica comme l’appelait Giovanni Lomazzo qui avait emprunté l’expression à Gemino et dont le but était surtout de «tromper le plus possible celui qui regarde». Ils se référaient à des origines lointaines et anciennes «autant que l’étaient ces oasis d’illusionnisme que depuis des siècles l’art italien utilisait pour relier les peintures murales à l’architecture qui les accueillait, de façon à intensifier, par artifice, la réalité existentielle de cette dernière» (R. Longhi, «Viviano Codazzi e l’invenzione della veduta realistica»). Si l’on parcourt à nouveau cette voie, elle conduit à des faits qui peuvent s’inscrire parmi les antécédents de la vue architectonique ou de la vue topographique parce que, sans aucun doute, ils confluent à un certain moment de son histoire et se ramifient ensuite en d’autres directions dont celle de la scénographie du XVIIe et surtout du XVIIIe siècle.

Le mot veduta , dans son sens contemporain le plus courant de dessin, de peinture, de gravure représentant un lieu, un édifice, un panorama de ville, est une extension du même terme qui signifie «point où tombe la vue» et, accessoirement, aspect ou perspective d’un lieu («belle vue» dont on jouit du haut d’une colline, par exemple). C’est, en fait, un terme d’optique ou, comme on disait autrefois, de la «perspective naturelle» qui est relié aussi au langage de la perspective artificielle ou géométrique, de la prospettiva pingendi , avec des significations différentes qui varient selon le «point de vue», c’est-à-dire le sommet de la pyramide visuelle, pour désigner le plan ou le cadre qui passe à travers le cône de projection de cette pyramide.

L’expression «perspective naturelle» perd justement au XVIIe siècle le rapport immédiat avec l’optique qu’elle avait au XVe siècle, c’est-à-dire avec la vision directe et avec les lois qui la gouvernent, et elle recouvre alors le même sens que veduta dans son acception actuelle. «Perspective naturelle» et veduta acquièrent donc la signification de vision de la réalité et de la nature environnante reproduite selon les règles déterminées de perspective; on peut aussi les rapprocher du terme que cite Mancini «perspective du pays». C’est ainsi que se dessine une parfaite équivalence entre perspective, veduta et quadraturisme.

1. Les origines de la «veduta»

Perspective, scénographie et paysage

La veduta – précisément parce que ce mot indique plus particulièrement «ce qui se voit» et donc «comment on le voit» –, dans le cas spécifique de la veduta d’architecture non idéalisée mais réaliste, c’est-à-dire la veduta de la ville, possède également une origine très différente qui est à rechercher là où prévalent les intentions représentatives et descriptives, en d’autres termes, le contenu sur des intentions plus rigoureusement formelles et la volonté d’une application systématique des règles de la perspective. Quand, par suite des objectifs didactiques que s’imposait le védutisme et qui concernaient surtout les vestiges fabuleux du monde antique à Rome, la description s’identifie au relevé, on voit apparaître au XVIe siècle la veduta comme un panorama dont les limites de projection s’étendent au-delà de l’angle visuel normal, se dilatent outre mesure, horizontalement, et deviennent parfois un véritable «panorama circulaire» de 1800. Les premiers védutistes empruntent des méthodes proches de celles de la cartographie et des projections axonométriques ou obliques dans un but topographique, en vogue à cette époque. C’est le cas des vues panoramiques, comme celle que Maerten van Heemskerck dessina en 1534, prise du haut du monte Caprino, ainsi que celle de Hendrik van Cleef, de 1550, depuis le monte Oppius et celles d’Antoine van den Wynegaerden, toujours en 1550, prises du haut des thermes de Constantin sur le Quirinal et du monte Mario. Il s’agit de véritables vedute qui supposent un dessin ou au moins des esquisses effectués sur place, même si elles tiennent peu compte des dimensions réelles de l’espace, des proportions réelles des différents édifices ainsi que de leurs distances; tous les principes d’une perspective rigoureuse y sont ignorés. On risque – en se référant à ces vedute – de tracer, en suivant des éléments extérieurs et des sujets, l’histoire d’un genre qui, en réalité, s’est adapté, au cours des siècles, à des situations artistiques et culturelles différentes et qui parfois n’étaient pas reliées par un idéal ou par une chronologie cohérente.

De toute façon, la veduta n’est pas simplement la peinture d’un paysage née de suggestions extérieures: la veduta est ce paysage historiquement objectif, décrit avec précision et reconnaissable. C’est là que naît une attitude constante chez tous les véritables peintres de veduta: une fidélité absolue à la perception optique de la réalité, dans ses traits les plus communs comme dans ses aspects les plus extraordinaires et les plus célèbres. Le peintre sort de son atelier et descend dans la rue, sinon avec son chevalet tout au moins avec son carnet de croquis qu’il remplit rapidement d’esquisses saisies sur le vif. Ce matériel constitue son patrimoine visuel, son vocabulaire d’images qu’il utilisera au fur et à mesure pour ses tableaux, pour ses vedute (cf. Alberto Martini, «Notizia su Pietro Antoniani, Milanese a Napoli», in Paragone , mars 1965).

Comme la scénographie, la veduta présente des problèmes de recherche spatiale et elle est fondée avant tout sur la pratique de la perspective. Les deux genres se développent simultanément et s’influencent réciproquement. Ils sont unis par des principes communs directement inspirés de l’architecture réelle; ils se différencient du fait de l’application de la perspective et ils englobent les aspects les plus subtils et les plus complexes de la réalité. Les conjonctions entre l’illusionnisme, la scénographie et la veduta sont des éléments essentiels pour retrouver l’une des origines historiques de la veduta. On peut remarquer à cet égard que les artistes utilisent des moyens auxiliaires comme la « chambre optique » qui fut en vogue au XVIIIe siècle et à laquelle eut recours Canaletto.

Le rôle des Nordiques italianisés

Les éléments figuratifs, qui sont à l’origine du genre de la vue topographique, sont variés et parfois opposés, leurs racines pénètrent dans la culture artistique de la première moitié du XVIIe siècle et dans certains cas remontent même au siècle précédent. Il s’ajoute à l’élément prospectif une vraisemblance optique, c’est-à-dire un élément réaliste qui reflète, dans ce contexte particulier, la nouvelle découverte de la réalité faite par le XVIIe siècle. Le védutisme comporte aussi des tendances dues à une approche différente de la nature, à une recherche du pittoresque, du suggestif, du typique. On peut donc remonter non seulement aux perspectives rigoureuses et réalistes de Viviano Codazzi ou d’Agostino Tassi, mais aussi aux artistes nordiques disciples d’Adam Elsheimer et aux Hollandais italianisés qui vivaient à Rome au XVIIe et au début du XVIIIe siècle.

L’apport des artistes nordiques, en Italie, fut fondamental: des sentiments nouveaux de mélancolie et de nostalgie, et donc étrangers, dans un certain sens, aux tendances formelles qui agitaient le camp du maniérisme romain tardif, affleuraient à la conscience de tout un groupe d’artistes hollandais ou flamands, qui avaient vécu dans des villes de plaine, à l’ombre des grandes cathédrales gothiques, et les poussaient à rechercher dans ces paysages si nouveaux pour eux quelque chose qui irait au-delà de la simple règle formelle. Ruines vues en tant que ruines, et non plus comme modèles capables de fournir un stimulant pour la renaissance des arts, mais comme des éléments essentiels du paysage romain. Il est logique que cette attitude réaliste, attentive et curieuse, née d’un stimulant dont la conséquence immédiate était la description, s’épanouisse spontanément chez des artistes venus de pays où la présence matérielle de l’Antiquité était à peu près inexistante et qu’elle les pousse donc à saisir, au-delà des apparences communes à tous les paysages, la singularité du paysage romain, à s’attarder parfois sur des détails et sur des épisodes significatifs et caractéristiques comme ceux qui soulignaient les différences entre le passé et le présent, entre la grandeur et la désolation.

Bril n’a jamais complètement abandonné une attitude nordique vis-à-vis du paysage italien, même si, pour citer Giovanni Baglione, «il modernisa sa première manière flamande ». La place de Bril, dans le milieu complexe de la culture romaine de la première et de la deuxième décennie du siècle, peut être considérée comme exemplaire, étant donné son insertion dans la dialectique entre les sentiments nordiques et la mesure latine, entre la micrographie flamande et la vision naturelle libre. Il est impliqué dans cette conscience particulière de la nature et de l’histoire qui donnait naissance au culte des ruines et donc à une vision particulière de Rome et de la campagna , sans se limiter cependant à l’aspect réel des ruines et en collaborant ainsi à la vision d’une Rome plus idéale que réelle. La veduta ideata naquit donc de ces inclinations idéalistes et syncrétiques du siècle qui réunissait attitudes nordiques et italiennes.

Entre la deuxième et la troisième décennie du XVIIe siècle, Cornelis van Poelenburgh et Bartholomeus Breenbergh élaborèrent les motifs de la «vue créée». À leur façon de capter certaines suggestions particulières du paysage romain, on reconnaît les éléments de l’ancienne opposition; opposition entre la pression des contenus fantastiques et la séduction de la règle formelle mais composée dans une clarté expressive. Cette lucidité et ce naturel ne sont pas concevables sans Elsheimer, sans une référence précise au nouveau langage qu’il avait forgé et que d’autres artistes hollandais, établis à Rome pendant la même période, ont à peine modifié. Il faut rappeler que ces «vues créées» nécessitaient une exploration continue et attentive de la réalité. C’est dans cette phase initiale que les intérêts des deux artistes et de leurs compagnons se dirigent fatalement vers le camp de la «veduta selon la vérité». Leur activité plus spécifique de védutiste fut limitée au dessin. Dans ces dessins, ils ne se contentaient pas de recueillir le matériel iconographique des anciennes ruines, mais ils s’abandonnaient à l’inspiration que leur fournissaient certains aspects de la ville et de la campagna. C’est ainsi qu’à côté du répertoire typique du carnet d’esquisses de l’artiste nordique en Italie on trouve parfois de véritables vedute , comme la Vue de Bomarzo , œuvre de Breenbergh conservée au Louvre.

Ce rapport entre réalité et imagination, qui caractérise les œuvres des paysagistes hollandais italianisés, se retrouve aussi à l’origine de l’expression de Claude Lorrain. Au long de son évolution, il sépara toujours plus, dans ses vedute , le monde de sa peinture du monde de l’expérience; phénomène qui l’éloigne de plus en plus de la recherche du milieu qui absorbait alors les artistes hollandais.

La présence à Rome de Johannes Wilhelm Baur, vers 1640, prend une importance particulière, grâce aux vedute qu’il peint de la ville et qu’il exécute dans le dessein bien précis de fournir un souvenir aux voyageurs étrangers. Ce sont des vedute d’une exécution minutieuse, en détrempe, conçues en série, chacune étant consacrée à un lieu célèbre. Elles étaient certainement précédées d’un travail de dessin, dont on retrouve le témoignage dans l’album d’esquisses du musée de Strasbourg. L’activité de graveur de Baur et la marque de son apprentissage chez un miniaturiste sont toujours évidentes dans ses œuvres. Puis vint l’époque du Grand Tour, voyage qu’accomplissaient en Italie les amateurs anglais; dans ce cadre, on ne recherchait pas des images idéales mais des souvenirs vivants de la réalité citadine.

En 1627, l’artiste génois Sinibaldo Scorza peint à Rome avec beaucoup de bonheur des vedute , souvenirs de choses vues et non pas répertoire de choses à voir, comme son œuvre très connue de la piazza Pasquino. C’est le moment le plus vivant, le seuil de la période la plus moderne de la veduta , si veduta désigne la vision objective de la réalité d’un lieu, d’une heure, d’un ensemble momentané d’actions quotidiennes, en d’autres termes a slice of life. Les intentions de l’artiste génois étaient d’être naturel, d’être le miroir de la vérité.

L’artiste bergamasque Viviano Codazzi est désormais considéré comme l’inventeur de la veduta réaliste. Il n’a pas tardé à dépasser les limites de la trame initiale, de caractère essentiellement perspectif et scénographique, et il donne à ses architectures idéales une apparence objective par les jeux de l’ombre et de la lumière; ces œuvres trahissent une intention délibérée d’assumer la nouvelle vision de la réalité. C’est de son séjour à Naples, de 1633 à 1647, que datent les vedute réalistes les plus importantes qu’il nous ait laissées. Dans la plupart de ses œuvres, l’horizon est bas et le point de vue est situé à la hauteur du regard d’un spectateur idéal qui serait au même niveau que le lieu représenté. Le résultat est ainsi plus réaliste, puisque le spectateur se trouve dans l’espace de la veduta. Codazzi a le mérite d’avoir relié le genre de la veduta à la pratique rigoureuse de la perspective et, bien que son influence n’ait pas dépassé un cercle restreint, son apport portera ses fruits au siècle suivant, chez Canaletto et chez Bernardo Bellotto.

L’artiste hollandais, Gaspar van Wittel, né à Amersfoort, près d’Utrecht, en 1652 ou 1653, arrive à Rome dès 1675, et son activité s’est déroulée surtout à Rome et à Naples; il peut être considéré comme le premier védutiste topographique au sens que lui donnait le XVIIe siècle. Van Wittel a su élever la vue topographique, qu’il avait choisie comme spécialité exclusive, à une dignité artistique qui, dans le cadre limité de ce genre, était jusqu’alors inconnue. Le plus grand mérite de Van Wittel est d’avoir su saisir l’atmosphère de Rome, avec ses particularités et ses contrastes. Le format deux fois plus large que haut qu’il utilisait généralement pour ses vedute peut être considéré comme de son invention. Le goût romantique pour les ruines et pour les vedute exclusivement archéologiques lui est étranger. Il préfère choisir des points de vue inédits, l’angle d’une place ou la fenêtre d’un palais. L’une de ses œuvres les plus réussies est la représentation de la vie romaine, le long du Tibre, du port au bois jusqu’au port de Ripa Grande. Ces vedute de fleuve sont si réalistes qu’elles mettent sous nos yeux la vie de l’époque avec beaucoup de bonheur.

2. Les foyers du védutisme au XVIIIe siècle

Rome

L’influence de Van Wittel eut à Rome des conséquences plus importantes et plus directes qu’ailleurs, mais surtout plus immédiates. Son apport fut déterminant pour Panini et pour Hendrik van Lint, qui peut être considéré comme son héritier; il influença également la formation de Paolo Anesi et d’Alessio de Marchis, qui organisaient à Rome un nouveau cours de peinture de paysage. Les petites vedute de Rome et de la campagne de Van Lint sont exécutées avec une précision d’écriture, une richesse de détails, de pittoresque dans la taille, et avec une certaine grâce naïve. Ce genre de veduta , topographiquement exacte et documentée, apparaît à une époque où les commandes de la part des voyageurs étrangers se font plus nombreuses. Au début du XVIIIe siècle, le connétable Colonna était encore le principal client de Van Wittel; plus tard, de nouvelles classes de clients, parmi lesquels les partisans du Grand Tour, domineront et seront des acheteurs avides de vedute de villes italiennes.

Naples

Bien que l’on ne puisse affirmer que Naples ait été une étape indispensable du Grand Tour, il existe sans aucun doute un védutisme napolitain qui a ses propres caractéristiques. Van Wittel en fut l’initiateur: à partir de 1700, il séjourna à plusieurs reprises à Naples où il laissa de nombreux témoignages de sa vision moderne. Le séjour napolitain d’Antonio Joli fut encore plus déterminant pour la tradition du védutisme. Ses vedute de Naples, peintes surtout entre 1762 et 1777, date de sa mort, nous font comprendre comment sa vision vaste et lumineuse, panoramique mais optiquement exacte, sa manière d’évoquer la vivacité colorée de la vie citadine donnent naissance au trait le plus caractéristique du védutisme napolitain des années suivantes. Le paysage traité, dans un registre qui va de l’objectivité optique à l’illustration courante et à la recherche du pittoresque, est accentué chez des artistes comme Pietro Antoniani et Gabriele Ricciardelli, alors que le védutisme napolitain s’enrichit de nouvelles visions de type préromantique.

Venise

Mais le védutisme vénitien est estimé, à juste titre, comme la plus haute expression du genre. Il faut remarquer cependant qu’au cours des dix dernières années du XVIIe siècle, au moment même de l’arrivée de Van Wittel, il n’existe pas à Venise de tradition védutiste bien définie, car les conditions préliminaires à l’existence d’une telle tradition étaient absentes (par exemple, une iconographie dans le domaine de la peinture ou de la gravure dont l’objet aurait été l’illustration de l’aspect extraordinaire et pourtant célèbre de la cité de la lagune). Cet aspect l’avait rendue illustre depuis plusieurs siècles, et il faut remarquer que le gouvernement sage et averti de la Sérénissime République n’avait jamais négligé de le diffuser, dès le Moyen Âge, ne serait-ce que pour favoriser et augmenter ce qui était sans aucun doute une source de revenu pour Venise: le passage de voyageurs étrangers, le tourisme – pour utiliser un mot moderne qui correspond assez vaguement au phénomène désigné. Bien que cet intérêt incontestable du public ait été amplement reconnu, ce qui porterait à penser que les ressources de la propagande iconographique n’auraient pas dû être négligées, on peut affirmer avec certitude qu’à la fin du XVIIe siècle et peut-être même plus tard la situation de Venise était, sous cet aspect particulier, très différente de celle de Rome. En fait, elle était caractérisée par un retard important et incompréhensible, si l’on pense à ce que cette lagune a de spectaculaire, d’unique et peut-être aussi de traditionnel dans ses attraits.

Les gravures les plus anciennes de Georg Houfnagel, des vedute de la Piazza et de la Piazzetta, qui datent de 1578, sont des exceptions qui ne suffisent pas à contredire un état de fait, et on peut dire aussi que le genre ne se développa guère au siècle suivant; il faut attendre les estampes minutieuses et descriptives de Peter Schenk du début du XVIIIe siècle.

Sur le plan de la diffusion populaire, la situation de la veduta à Venise était tout à fait différente de celle de Rome. Rome disposait déjà d’un répertoire d’une grande richesse, alors qu’à Venise il n’existait encore aucune tradition védutiste. C’est grâce à Canaletto d’abord, puis à Bellotto et enfin à Guardi que la peinture vénitienne du XVIIIe siècle s’est à nouveau élevée au niveau du grand art européen. La question de savoir si l’œuvre de Van Wittel eut une influence sur la formation de Canaletto ne permet aucune conclusion sûre et positive. Quand, en 1719, le jeune Canaletto se rend à Rome, Van Wittel a déjà atteint son apogée. Cependant, aucun élément dans les vedute al naturale (vedute naturelles) de Canaletto, à cette période ne suggère un contact direct avec l’artiste hollandais. En revanche, ce sont les premières vues vénitiennes de Canaletto qui se rapprochent le plus de Van Wittel. Les séries de dessins de Van Wittel de la Bibliothèque nationale de Rome (parmi lesquels presque tous les dessins préparatoires pour les vedute de Venise) et l’album de Canaletto du musée Correr permettent d’analyser la méthode des deux artistes. C’est dans la technique et la méthode descriptives que réside l’importance de Van Wittel pour l’histoire du védutisme vénitien.

Les vedute des artistes vénitiens représentent, tant en quantité qu’en qualité, l’aspect le plus important du genre, mais il ne faut pas oublier que d’autres régions de l’Italie et de l’Europe suscitent des peintures originales. Les vedute faites à Londres par Canaletto ne seraient pas concevables à Venise, et les vedute que Bellotto peignit en Europe centrale doivent leur modernisme à son éloignement du centre classique du védutisme.

La France

Le védutisme français, qui apparaît au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle, est le seul estimable après la grande école vénitienne. Pierre de Nolhac, dans son ouvrage Peintres français en Italie , semble attribuer à Hubert Robert et à Fragonard le mérite d’avoir encouragé, les premiers, la représentation de Rome et de la campagna. La correspondance entre le directeur de l’Académie française à Rome et le directeur des Bâtiments à Paris nous fournit la preuve que cette pratique fut en vogue chez les pensionnaires.

L’association presque providentielle de Hubert Robert, de Fragonard et de l’abbé de Saint-Non donne naissance à la première école moderne des paysagistes français et des peintres de la vie quotidienne. Robert, admirateur de Piranèse (l’image grandiose que ce dernier donna de Rome est liée au nouveau sentiment du Sublime) et élève de Panini, considéra l’Antiquité comme une scénographie lumineuse destinée à accueillir les scènes de la vie quotidienne. Joseph Vernet, qui passa dix-huit années de sa vie en Italie (1734-1752), préféra rapidement les paysages imaginaires à la manière de Claude Lorrain et de Salvatore Rosa, et, dans ses vedute marines, remplaça les figures mythiques par des soldats, des pêcheurs et des marins. Ce fut là un type de veduta qui remporta un grand succès auprès des touristes.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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